Les grands défis d’aujourd’hui
Δ L’énergie sombre
Si la matière noire constitue la majeure partie de la matière de l’Univers, c’est l’énergie sombre (« énergie noire » pour les anglo-saxons) qui en domine l’énergie totale. Cette composante encore mal comprise serait à l’origine de l’accélération de l’expansion de l’Univers, un phénomène découvert à la fin des années 1990 et qui a bouleversé notre vision de la cosmologie.
Voir également les pages « Atomes et particules », « Mouvements et gravitation », « Les composants de l’univers », « Du Big Bang à nos jours », « La tension de Hubble », « Le destin de l’univers » et « La matière noire ».
De quoi s’agit-il ?
Simulation de l’expansion – © Volker Springel-Max Planck Institute for Astrophysics
Simulation de la croissance des structures cosmiques (galaxies et vide) lorsque l’Univers avait 0,9 milliard d’années, puis 3,2 milliards et 13,7 milliards d’années (aujourd’hui).
Selon le modèle standard de la cosmologie, après le Big Bang, l’expansion de l’Univers devait ralentir sous l’effet de la gravité. Or, les observations des supernovæ lointaines ont montré que l’expansion s’accélère depuis environ 5 milliards d’années (voir les pages « Du Big Bang à nos jours », et « Le destin de l’univers »).
Pour expliquer cette accélération, les cosmologistes ont introduit le concept d’ « énergie sombre », une forme d’énergie qui exerce une pression négative et tend à repousser la matière.
Observations et expériences
Mesure de l’expansion de l’univers sur les 11 derniers milliards d’années – © Observatoire National de Kitt Peak (Arizona, USA)
L’analyse du CMB met en évidence la matière noire et l’énergie sombre – © E.Siegel
Plusieurs observations ont interrogé les scientifiques et les ont amenés à envisager cette énergie « manquante ».
- Les supernovæ de type Ia:
Ces étoiles explosent toujours avec la même luminosité intrinsèque, ce qui en fait des « chandelles standard » pour mesurer les distances cosmiques (voir la page « Distances et temps« ). En comparant leur luminosité apparente à leur luminosité intrinsèque, les astronomes peuvent déterminer leur distance. Les observations de supernovæ lointaines ont révélé que l’Univers s’étend à un rythme croissant. Ce travail a valu le prix Nobel de physique à Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Riess en 2011. Voir également la page « Les novæ et les supernovæ ».
- Le fond diffus cosmologique:
Les mesures précises du fond diffus cosmologique, le rayonnement fossile du Big Bang, réalisées notamment par le satellite Planck, ont consolidé l’hypothèse de l’existence de l’énergie sombre et ont permis de contraindre les modèles cosmologiques. Voir également la page « Du Big Bang à nos jours ».
- La Grande Muraille:
Les observations de grandes structures cosmiques comme la Grande Muraille, une immense concentration de galaxies, ont également apporté des éléments en faveur de l’existence de l’énergie sombre. Voir également la page « Filaments et murs cosmiques ».
Solutions théoriques possibles
L’énergie sombre a suscité de nombreuses théories pour tenter d’en expliquer la nature. Examinons les principales pistes explorées par les cosmologistes :
- La constante cosmologique (Λ):
Introduite puis retirée par Einstein, et reprise d’une autre façon par Friedmann et Lemaître, la constante cosmologique est aujourd’hui interprétée comme la densité d’énergie du vide dans l’espace-temps. Elle agit comme une force répulsive, s’opposant à la gravité.
C’est la solution la plus simple et la plus « économique » en termes de nouveaux paramètres. Elle s’inscrit naturellement dans le cadre de la Relativité Générale.
La valeur extrêmement faible de la constante cosmologique par rapport aux prédictions de la physique des particules reste cependant un mystère. De plus, elle ne résout pas la question de l’origine de cette énergie du vide.
La vidéo ci-contre exprime bien l’expansion accélérée de l’univers à l’aide de la constante cosmologique.
Voir également la page « Le destin de l’univers ».
- La quintessence:
La quintessence est un champ scalaire (champ physique associant une valeur scalaire à chaque point de l’espace-temps) dynamique, c’est-à-dire une quantité qui varie dans l’espace et dans le temps. Ce champ pourrait avoir des propriétés particulières qui lui permettraient de jouer le rôle d’énergie sombre. Il offre également une plus grande flexibilité que la constante cosmologique et pourrait expliquer l’évolution de l’énergie sombre au cours du temps.
Il existe cependant une multitude de modèles de quintessence, ce qui rend difficile de les contraindre avec les observations.
Plutôt que d’introduire une nouvelle forme d’énergie, certaines théories proposent de modifier les équations de la Relativité Générale à grande échelle. Ces modifications pourraient expliquer l’accélération de l’expansion sans faire appel à l’énergie sombre.
Exemples :
Les théories f(R): Dans la Relativité Générale, la courbure de l’espace-temps est décrite par le tenseur de Ricci R. Les théories f(R) remplacent simplement R par une fonction plus complexe f(R) dans les équations d’Einstein. Cette modification peut conduire à des effets gravitationnels différents à grande échelle, comme une accélération de l’expansion.
Voir également le chapitre « Relativité Générale » de la page « Mouvements et gravitation ».
Les théories tenseur-scalaire: Ces théories introduisent un champ scalaire supplémentaire couplé au champ gravitationnel. Ce champ scalaire pourrait modifier la gravitation en fonction de l’environnement, ce qui pourrait expliquer l’accélération de l’expansion.
Les modèles MOND (Modified Newtonian Dynamics): Initialement conçue pour expliquer les courbes de rotation des galaxies sans faire appel à la matière noire, la théorie MOND propose de modifier la loi de la gravitation universelle de Newton (cf le chapitre « Mécanique Newtonienne » de la page « Mouvements et gravitation ») à très faible accélération. Des modifications à cette théorie ont été proposées pour expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers.
- Autres pistes:
Les modèles cycliques: Ces modèles proposent que l’Univers passe par des phases d’expansion et de contraction successives, l’énergie sombre jouant un rôle clé dans ces cycles.
Les théories des branes: Dans le cadre de la théorie des Cordes, l’énergie sombre pourrait être liée à l’existence de dimensions supplémentaires.
Voir également la page « Les théories d’unification ».
Consensus actuel et perspectives
Le consensus actuel est que l’énergie sombre existe bien et qu’elle est responsable de l’accélération de l’expansion de l’Univers.
La constante cosmologique reste le modèle le plus simple et le plus compatible avec les observations. Cependant, la nature exacte de l’énergie sombre demeure un mystère.
Les modèles de quintessence sont activement étudiés, notamment en cherchant des signatures spécifiques dans les données cosmologiques.
Les théories modifiées de la gravité sont également un domaine de recherche actif, mais elles font face à de nombreux défis. Elles sont souvent complexes et difficiles à tester expérimentalement. De plus, elles doivent respecter les contraintes imposées par les observations à petite échelle (système solaire, étoiles, galaxies).
Les prochaines années devraient apporter de nouvelles contraintes sur les modèles d’énergie sombre grâce aux observations et expériences, notamment avec les télescopes spatiaux comme Euclid et James Webb (voir la page « Les télescopes spatiaux »).
Δ Ψ Pour aller plus loin…
- « À la recherche de l’Univers invisible – Matière noire, énergie noire, trous noirs » de David Elbaz : Cet ouvrage aborde de manière plus large les composants invisibles de l’Univers. David Elbaz propose une réflexion sur les défis que pose la compréhension de ces composantes pour la cosmologie.
- Site du CEA – Dossier sur l’énergie sombre :
https://www.cea.fr/comprendre/Pages/matiere-univers/essentiel-sur-energie-noire.aspx